vendredi 23 septembre 2011

Rhinoceros in love : la Chine dégouline



Le "théâtre" traditionnel chinois est une longue et dense épopée. C'est à travers les âges et les lieux que la Chine a su développer et pratiquer de nombreuses formes dramatiques . Du canjunxi ("farce") au zaju ("théâtre de variété") en passant par la forme la plus renommée le jingxi ("opéra de Pékin") chaque pratique a traditionnellement joué un rôle particulier dans la vie chinoise ; communiquer avec les esprits des ancêtres, ritualiser l'exercice du pouvoir politique, exprimer des sentiments (surtout amoureux) et encore réhausser les grandes occasions de la pratique sociale. Le "théâtre " chinois (occidentalement nommé ainsi) est très prolifique. Chaque année, on donne, sur la scène chinoise, des milliers de pièces nouvelles et anciennes empruntées à divers genres de théâtres. Ouf ! ça fait beaucoup tout ça mais en fin de compte c'est quoi le théâtre en Chine aujourd'hui ?
Dans un monde moderne où tout bouge constamment, comment définir une pratique artistique de manière figée et intangible ? Ainsi la mondialisation, le mélange des genres et des cultures et les melting pot se sont saisis à leur tour de l'art dramatique chinois pour y apporter de nouvelles formes et de nouveaux traits artistiques créant un théâtre chinois contemporain. Nous sommes au XXI ème siècle et les frontières artistiques et culturelles se sont toutes consumées. Toutes ? Difficile à savoir si l'on ne se trouve pas en Chine et que l'on ne voit pas de création mais justement ...
Rhinoceros in love fait partie de ce mouvement sismique. Programmé au Brisbane Festival 2011 le spectacle a été joué des centaines de fois et apprécié par des millier de personnes. Poussée par la curiosité j'ai pris mon ticket, me suis assise sur mon siège K1 et ai attendu patiemment le début du spectacle. Le gong a retenti fort et pénétrant. La pièce pouvait commencer.

L'histoire raconte l'insatiable lutte de Ma Lu, un jeune gardien de rhinocéros qui tombe amoureux d'une lunatique et inaccessible femme portant le doux nom de Ming Ming. A l'image de son désobéissant rhinocéros, Ma lu se montre insoumis face à une société aux codes trop contraignants pour lui et se laisse perdre dans sa quête utopique du vrai amour.
Derrière la romance sont abordés des messages tels le pouvoir de la volonté, la question de la relation à l'autre, l'enfermement et la soumission, l'aliénation par l'argent, l'assèchement de la société de toute valeur humaine, l'étiolement de l'amour, etc, etc, autant de sujets triste et douloureux que le protagoniste se charge bien de décrier tout au long du spectacle. Plaintes, cris, pleurs et j'en passe, tout est bon pour suggérer sa peine, dévoiler sa hargne, révéler sa douleurs, montrer, démontrer et remontrer encore. Pas subtile subtile comme jeu. Les corps sont mous, aucune présence, à se demander si la danse et les acrobaties traditionnellement utilisées ont un jour existé. Les techniques se rapprochent des techniques occidentales d'un théâtre bien classique; jeu face public, déclamations, déplacements restreints. Malgré tout on peut ressentir la volonté d'une modernisation palpable. Le décor est minimaliste, seules quelques chaises, deux lits, des carrés en fer suspendu en l'air, une esthétique assez dépourvue et essentiellement quadrangulaire. Un bel espace pour faire ricocher l'amour et ses violences mais malheureusement pas suffisamment exploité. Les chansons utilisées sont niaises, les sentiments dégoulinent, tartines de pathos sur complainte à l'eau de rose, j'avoue avoir baillé. Sans parler des costumes dépareillés sans réelle cohésion sortis tout droit des placards des comédiens. Mais où suis-je ? est ce que j'ai loupé quelque chose ? Pourquoi est ce que je ne comprends pas le succès de cette pièce en Chine ?
Et voilà que cette question surgie à nouveau : les frontières artistiques et culturelles se sont elles toutes consumées ? Oui, la réponse est oui ou en tout les cas, ces frontières sont nettement moins définies. Cependant notre culture est bien la nôtre et les codes culturels qui nous on nourris et bercés toute notre vie nous collent bien fort à la peau. Assuré 100% adhésif ! Et soudain je comprends, il me manque une clé, une approche, une ouverture peut-être, un autre regard, une sensibilité que je n'ai pas. Dans nos ressemblances nous restons différents et c'est là tout l'intérêt de voir cette pièce. Et lorsque une pluie torrentielle s'abat sur le pauvre Ma Lou effondré d'amour, l'eau inonde le plateau, le comédien peine à dire ses répliques en s'étouffant avec les litres de pluie qui lui tombe dessus et je ne peux empêcher ce petit rire nerveux sortir de ma bouche, cette infime ironie à la fois douce et sage ... ça dégouline quand même beaucoup.

mardi 13 septembre 2011

Emergence


La baie des dames

La danse des âmes du bagnes

Le bagne en Nouvelle Calédonie c'est l'histoire d'hommes et de femmes condamnés et répudiés jusqu'au bout du monde. Crimes, vols, révolte ou insoumission peut importe, la solution pour s'en débarrasser est simple et radicale ; un exil, un arrachement, une expatriation si lointaine qu'aucune des racines de ces hommes et femmes ne pouvaient survivre, noyées déjà bien avant la fin de l'océan. Comment poursuivre leur vie de forçat banni du pays qui les a vu grandir ? Tout espoir d'un retour est l'illusion d'un condamné à mort espérant l'absolution.
La baie des dames raconte ce déracinement et la souffrance de 8 femmes bagnards de l'année 1874. A travers les différents tableaux, le spectateur découvre le quotidien des détenues. Leur peine est mise à nue. Des corps s'échappent des cris de rage et l'on ne peut que ressentir et toucher des yeux les restes de douceur et de sensualité exaltées par la douleur.
Les chorégraphies sont pleines d'originalités. Les danseuses jouent avec les expressions, passant du rire au drame et de la complicité à la solitude. Leur générosité apporte une fraicheur au spectacle. La scène de couture figurée par un ruban de bolduc rouge est délicieuse et offre un visuel pertinent. L'aspect figuratif n'enlise pas pour autant la contemporanéité du spectacle. Les images sont donc bien travaillées, notamment grâce aux robes simples, fluides et tellement efficaces mais aussi grâce à la création lumière de qualité encore signée Lo-Amy qui dévoile de nouveaux son goût pour un univers ambré (cf Shok?!).
S'il y avait un "mais" à cette création, et il y en a toujours un... le nombre important des danseuses met en valeur certaines scènes mais en dessert d'autres surtout lorsque le niveau des interprètes n'est pas équilibré ce qui est le cas ici. Le final laisse dubitatif. Une des danseuse s'éloigne peu à peu du groupe et finit par traverser l'avant scène enroulée dans un voile de marié ... une autre forme d'emprisonnement ?



La femme Océan

Du mot au corps

Les corps à fleur de peau et les sens en émois, voilà les deux approches que nous proposent la compagnie Origine et la compagnie de théâtre Cris pour habiter Exils dans ce spectacle inspiré de textes de Marguerite Duras.
L'amour passionnel et "immoral" auquel s'abandonnait la grande écrivaine est retranscrit par des danses sensuelles et notamment un tango que le spectateur découvre sur un grand écran en fond de scène. Ces images sont d'un kitch frôlant le mauvais goût ; les couleurs sont criardes et au delà de la performance sertes réussie l'ensemble de la chorégraphie est bien niaise. Fort heureusement ce premier tableau n'est pas représentatif du reste du spectacle et l'on découvre peut à peut les pièces d'un intéressant puzzle qui trouve sa véritable forme dans la recherche contemporaine.
Ainsi les tableaux se suivent et se mêlent avec comme fil conducteur les dialogues du film Hiroshima mon amour. Les extraits musicaux sont bien choisis et soulignent judicieusement les voix et les images projetées sans cesse sur l'écran. La mise en scène est très bien soignée. Rien à dire sur le rythme non plus qui alterne moments dansés, vidéo, pause avec tempo et justesse. Un travail dans l'ensemble bien mené mais qui pâtis tout de même de quelques maladresses visuelles.
Marguerite Duras aborde les thèmes qui croisent sa vie et sa plume. L'amour, la guerre, les océans qu'elle a traversé et qui sont en elle ... La puissance de ses mots résonnent encore et toujours plus fort. La danse impulse ces mots et nous invite à (re)découvrir l'oeuvre et la profondeur de cette femme océan.

A voir au centre culturel Tjibaou le Jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 septembre à 20h, salle Sisia.