samedi 7 janvier 2012

Pieds nus sur l'humanité

« Art public par excellence, le théâtre, qu'il le veuille ou non, exerce une fonction politique ». Désert s'inscrit volontairement de part sa forme et son propos, dans une démarche engagée. Le spectacle propose, dans un mouvement perpétuel de création, d'explorer avec sensibilité les espaces infinis de la société calédonienne.

Lorsque qu'Augusto Boal créé le théâtre de l'opprimé il a la profonde conviction que le théâtre peut provoquer le public à une réflexion active sur la société et sur le monde qui l'entoure. Désert tente d'impliquer ses spectateurs comme Boal engageait son public à jouer lui même des personnages de son quotidien pour révéler les situations d'oppression.

Afin de permettre au public de s’investir dans l’œuvre, un dialogue est ouvert après chaque représentation, encourageant les échanges quels qu'ils soient, politiques, artistiques ou même idéologiques. Un blog a également été créé (http://creadesert.unblog.fr/) pour que tout le monde puisse exprimer son opinion sur la création, participer à la mise en scène, partager ses idées. Une expérience que la metteuse en scène et comédienne, Anne-Sophie Conan appelle spectacle "participatif" ; ne pas laisser le public passif, provoquer les réactions, lancer le débat, soulever les questionnements,le spectateur est invité à s'impliquer et à critiquer.

Le théâtre engagé est censé être près du peuple en mêlant l’avant-garde artistique et l’avant garde de la militance politique expliquait le sociologue Pierre Bourdieu. Comment s’engager, s’inscrire dans une cause, intervenir au près du public, le faire participer sans négliger le champ artistique ? La fonction politique du théâtre engagé peut-elle être nuisible à la qualité artistique du spectacle ? C’est ainsi qu’accompagnés de ces questionnements, les trois acteurs (Anne Sophie Conan, Richard Digoué et Paul Wamo) et l’auteur (Luc Camoui) se sont lancés dans l’aventure. L’œuvre est volontairement en chantier, le spectacle en construction. Il évolue au fur et à mesure des représentations et des rencontres avec le public. Ce processus peut être la condition pour que le spectacle ne s’enferme pas dans des cases définies (théâtre engagé ? œuvre artistique ?) et réponde à une force et une qualité que l’échange avec le public peut certainement apporter.

Désert met en lumière les interrogations de trois personnages différent les uns des autres qui vivent avec leur propre parcours et leurs propres origines sur la même terre. Difficile de s’entendre et d’imaginer un « destin commun » lorsque les différences apparaissent si criantes. Le spectacle, à travers l’identité de ses trois comédiens, illustre la situation socio-politique actuelle en Nouvelle Calédonie. La scène d’exposition, explosant en bagarre générale, installe directement le propos dans les yeux et les oreilles des spectateurs. L’incompréhension amène à la violence. Quelles sont les solutions ? Y en a t-il vraiment ? Ce sont les questions que le spectacle soulève, le but n’étant pas de trouver un dénouement mais d’engager le débat.

À ce stade de la création, la structure du spectacle est posée. Rythmiquement assez bien menés grâce à des jeux de lumière pertinents, les tableaux se suivent avec cependant, une trop grande linéarité. Dépouillé de tout décors, le plateau accueille nu les témoignages des trois comédiens. Seules trois boites blanches assez grandes pour s’y glisser à l’intérieur sont utilisées comme coffre à souvenirs, refuge réconfortant ou encore écran de projection. Trois personnages, trois boites et tout autant d’histoires à raconter, de peines à livrer et de refrains à chanter. Une touchante fresque humaine qui, malgré quelques passages beaucoup trop didactiques, dérange un public directement concerné. Dans ce spectacle, le politique surgit souvent là où on l’attendait le moins. Les scènes explicites qui utilisent des symboles forts comme les drapeaux ne sont pas forcément celles qui marqueront le plus. Tout au contraire, comme si le temps se suspendait, la scène de la mouette intensément jouée par la comédienne donne à entendre un double langage poétique et philosophique beaucoup plus intéressant scéniquement (le corporel est immédiatement valorisé) et tellement plus efficace.Une pièce à voir et à revoir tout au long de sa transformation mais surtout à débattre. En attendant la prochaine représentation, peuplons nos déserts de paroles.






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